Deux lièvres, une chope d'hydromel et un abri pour la nuit

Piping contempla la lune. L'astre rond peinait à diffuser sa lumière au travers des lourds nuages qui s'amassaient dans le ciel. Il faisait encore plus sombre à l'ombre des arbres où la jeune femme comptait passer la nuit. Les branches dénudées formaient une toile d'araignée lugubre, mais elle aimait cette toile de fond, cela lui rappelait ses dernières années... Les longues nuits sans sommeil qu'elle passait, les yeux grands ouverts, à fixer le plafond étoilé. Quelle plus belle demeure que celle offerte à tout un chacun par la nature?

Elle sortit un bout de parchemin usagé, une plume et son encrier. Elle avait reprit cette sale manie de noter les événements de la journée depuis qu'elle était revenue sur les terres d'Alidhan. C'était un moyen de ne pas oublier, et aussi de se libérer.
Elle griffonna quelques mots en désordre sur la page:

Reçue, missive acceptant ma candidature chez les Gardiens.
Visite, Vorus pour signer le registre des guildes.
Combat, brigands posté à Lyberthas avec l'aide de quelques exilés.
Cauchemar, toujours le même.
Repas, aucun.

Une énorme goutte de pluie vint s'écraser sur le parchemin, brouillant l'écriture ronde et déliée. Un juron lui échappa. La pluie... Elle avait compté sur le fait qu'elle ne viendrait qu'au point du jour, mais c'était raté.

Piping ramassa ses affaires, plia rapidement le parchemin, rangea plume et encrier, passa sa sacoche sur son épaule et prit la direction de Kalaegan. Les gouttes d'eau s'écrasait sur son capuchon avec force et désespoir. Manifestement, la magicienne était le seul être vivant de sortie cette nuit-là, et la pluie se vengeait comme elle pouvait... Hâtant le pas, la jeune femme baissa la tête, fixant le sol de son oeil unique. Comme d'habitude par temps humide, l'autre, le manquant, la démangeait. Un tic de vieux, songea-t-elle.


La demeure des Gardiens étaient en vue. La vigie la laissa passer sans problème, sans doute car il avait reçu des instructions de la part de Taz.

Pas un bruit n'émanait de la demeure. Toutes les lumières étaient éteintes, même la taverne était déserte. Cela lui convenait bien, elle préférait les arrivées discrètes aux grandes effusions. Aussi déposa-t-elle les deux lièvres qu'elle avait tué ce jour-là dans le cellier et après s'être servie une grande choppe d'hydromel, s'attabla en silence à l'une des longues tables de la taverne.
Piping sortit de nouveau parchemin, encrier et plume de sa besace et après avoir séché le papier, réécrit exactement ce qu'elle avait écrit plus tôt puis le rangea avec les autres et en sortit un autre.

Elle avala une grande gorgée d'hydromel et réfléchit quelques instants. Que disait-on dans ce genre de situation? Elle n'en avait absolument aucune idée... Ou bien si...

C'est un honneur pour moi.
Merci à vous.

Puis, en tout petit au bas de la page.

J'ai déposé deux lièvres dans le cellier et me suis permis de prendre une chope d'hydromel et de dormir sur un banc dans la taverne. La chope est sur le comptoir, propre.


A l'aube, la pluie avait tracé sa route vers d'autres horizons plus propices et plus peuplés aussi sans doute. Piping replaça la capuche sur sa tête et repartit. Elle savait qu'ici, désormais, c'était chez elle... mais il lui faudrait encore un bout de temps avant de se faire à l'idée...